viernes, 2 de marzo de 2012

Una última ración de Baudelaire

Recueillement

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

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Recogimiento

Sé sabia, Pena mía, y permanece en calma.
Reclamabas la Noche; ya desciende, hela aquí:
Envuelve a la ciudad una atmósfera oscura
A unos la paz trayendo y a los más la zozobra.

Mientras que la gran masa de los viles mortales,
Del Placer bajo el látigo, ese verdugo impávido,
Cosecha sinsabores en la fiesta servil,
Ofréceme tu mano, Pena mía, ven aquí

Lejos de ellos. Mira balancearse los años transcurridos
Con vestidos ridículos, sobre las balaustradas
Del cielo; la nostalgia burlona ya emerge de las aguas;

Descansa bajo un arco el moribundo sol
Y, tal enorme sudario rezagado, hacia Oriente,
Oye, querida, oye cómo avanza la Noche.

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Le gouffre

Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
- Hélas! tout est abîme, - action, désir, rêve,
Parole! et sur mon poil qui tout droit se relève
Maintes fois de la Peur je sens passer le vent.

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,
Le silence, l'espace affreux et captivant...
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où;
Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanté,
Jalouse du néant l'insensibilité.
Ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Etres!

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La sima

Pascal tuvo su abismo que con él se movía.
-¡Todo es abismo, ay, acción, sueños, deseos,
palabras, y mi pelo que de pronto se eriza
siente a veces pasar el viento del terror.

Abajo, arriba, en todo, en la playa, en la hondura,
el silencio, el espacio subyugador y horrible...
En mis noches profundas Dios sabiamente traza
una gran pesadilla multiuniforme y sin tregua.

Tengo miedo del sueño como de una ancha sima
lleno de un vago horror, que lleva a no se dónde;
contemplo el infinito en todas las ventanas;

mi espíritu al que siempre el vértigo obsesiona
envidia de la nada la insensibilidad.
-¡ah seguir confundido entre el Ser y los Números!

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Épigraphe pour un livre condamné

Lecteur paisible et bucolique,
Sobre et naïf homme de bien,
Jette ce livre saturnien,
Orgiaque et mélancolique.

Si tu n'as fait ta rhétorique
Chez Satan, le rusé doyen,
Jette! tu n'y comprendrais rien,
Ou tu me croirais hysthérique.

Mais si, sans se laisser charmer,
Ton oeil sait plonger dans les gouffres,
Lis-moi, pour apprendre à m'aimer;

Âme curieuse qui souffres
Et vas cherchant ton paradis,
Plains-moi!... Sinon, je te maudis!

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Epígrafe para un libro condenado

Lector apacible y bucólico,
Ingenuo y sobrio hombre de bien,
Tira este libro saturniano,
Melancólico y orgiástico.

Si no cursaste tu retórica
Con Satán, el decano astuto,
¡Tíralo! nada entenderás
O me juzgarás histérico.

Mas si de hechizos a salvo,
Tu mirar tienta el abismo,
Léeme y sabrás amarme;

Alma curiosa que padeces
Y en pos vas de tu paraíso,
¡Compadéceme!... ¡O te maldigo!

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Charles Baudelaire

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